L’agar-agar

agar-agarSi pour des raisons diverse et variées vous ne souhaitez pas utiliser un gélifiant d’origine animale, il va vous falloir vous rabattre sur les gélifiants d’origine végétale. Mais sont-ils équivalents ? Nous allons voir dans cet article consacré à l’agar-agar et dans les prochains que non, pas tout à fait. Si tous possèdent bien le pouvoir de gélifier, le gel obtenu n’est pas identique et ne s’obtient pas dans les mêmes conditions.

Comparé à sa collègue la gélatine, l’agar-agar est moins utilisé. Vous la trouverez sur les étiquettes comme un additif répondant au doux nom E406 (ou E406 A) ou sous les appellations : agar agar, mousse du Japon, kanten, mousse de Ceylan ou encore gélose. Cet additif est enregistré comme agent d’enrobage, stabilisant, épaississant, émulsifiant et bien sûr gélifiant.

Petite histoire de l’agar-agar

Une origine asiatique

Pour trouver les premières traces de ce gélifiant végétal, nous vous proposons de faire un petit tour de le temps et dans l’espace. Retrouvons-nous au Japon au VIIIe siècle autour d’un bol de nouilles fumantes et en compagnie de l’élite japonaise de l’époque. Ces nouilles d’algues, appelées tokoroten et dont la recette est elle-même adaptée d’une recette chinoise (les tama-aburg), sont obtenues en faisant bouillir une algue rouge de la famille des Gelidiaceae : la tengusa.

Cependant, la légende nous rapporte que la découverte de l’agar-agar aurait été faite en 1658 par un aubergiste près de Kyoto : Minora Tarazaemon. Il laissa son bol de soupe d’algues dehors une froide nuit d’hiver et le retrouva sous forme de gelée le lendemain. Ne le consommant pas de suite, son plat se dégela au soleil puis sécha. L’aubergiste aurait alors fait bouillir son plat en le réhydratant. Mais il obtint pour tout résultat une gelée bien blanche (connue aujourd’hui au Japon sous le nom de kanten). C’est ainsi que l’agar-agar aurait été découvert… Son utilisation se retrouve petit à petit dans divers pays de l’Asie du sud-est, même si elle reste majoritairement japonaise pendant quelques centaines d’années. D’ailleurs le nom d’agar-agar ne vient pas du Japon mais d’Indonésie/Malaisie 😉

Son apparition en Europe

Pour l’Europe, c’est en 1881 que l’agar-agar fit officiellement son apparition, dans un usage quelque peu éloigné de notre cuisine. Selon Wikipédia, “Walther Hesse, médecin et microbiologiste allemand, et sa femme rejoignent le laboratoire de Robert Koch, lui à un poste de chercheur postdoctoral pour étudier la qualité de l’air, elle en tant que technicienne non rémunérée (elle réalise les illustrations de préparations microscopiques publiées par son mari). Hesse était convaincu que les micro-organismes étaient présents partout, même dans l’eau et dans l’air.

Il utilise une série de filtres, fabriqués principalement en ouate, pour tenter de capturer et d’observer les micro-organismes. Lors de la culture des organismes piégés avec son filtre, il utilise un milieu contenant de la gélatine capable de se solidifier. Cependant, la gélatine présente le défaut de fondre, ce qui lui occasionne de nombreuses frustrations pendant les mois d’été, voyant les expériences ruinées par la chaleur ou par les bactéries protéolytiques cultivées.

La légende raconte qu’au cours d’un pique-nique avec sa femme, il lui demande comment cela se fait que les gelées et les puddings qu’elle a apportés ne fondent pas sous la chaleur de l’été. Elle lui répond qu’elle utilise de l’agar-agar apporté par un ancien voisin néerlandais de New-York qui avait voyagé en Indonésie et vécu à Java où il s’agissait d’un ingrédient souvent utilisé. Hesse puis Koch prennent alors l’habitude de l’utiliser au laboratoire, notamment pour faire pousser des bactéries de la tuberculose.

Son développement

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon cède petit à petit le leadership dans la maîtrise de la production qui tend du coup à se démocratiser. Au point qu’aujourd’hui, en France, nous commençons à avoir une petite production d’agar-agar à partir d’algues rouges locales (Gélidium sesquipedale) sur les côtes basques ou bretonnes. Mais cette production est loin de couvrir nos besoins qui sont toujours de plus en plus élevés. En 2014, notre pays en exportait en moyenne 13tpar mois, là où elle en importait près de 34t. Aujourd’hui, la France reste un très gros importateur (près de 300 millions de dollars en 2020).

Aujourd’hui, l’agar-agar est produite un peu partout dans le monde ; le Maroc – par exemple – est devenu le 3e producteur mondial.

Fabrication de l’agar-agar

Description de cette image, également commentée ci-aprèsL’agar-agar est un mélange de deux polymères (i.e. une macromolécule comme les protéines ou les matériaux plastiques) : les polysaccharides (une macromolécule formée par un enchaînement de sucres élémentaires ) agarose et agaropectine. Ces polysaccharides proviennent de la paroi cellulaire de certaines algues rouges pouvant pousser jusqu’à 100m de profondeur. Ces dernières appartiennent aux familles des Gelidiacées (espèces Gelidium et Pterocladia) et des Gracilariacées (espèce Gracilaria).

Pour obtenir l’agar-agar, il faut un peu reproduire le même processus que notre aubergiste japonais. A savoir : hacher les algues, les faire bouillir dans de l’eau et de l’acide acétique (ou de l’acide sulfurique) puis filtrer le bouillon et neutraliser les acides avec un produit alcalin (bicarbonate de sodium). Ensuite, faire refroidir ce bouillon à 40°C pour qu’il gélifie. Enfin congeler, dégeler et déshydrater cette gelée (pour qu’elle perde sa coloration et don goût d’algue).

Il n’y a plus qu’à le conditionner pour le commercialiser soit sous forme de longues barres transparentes soit en poudre ou en fibres.

Propriétés de l’agar-agar

Comme nous venons de le préciser, l’agar-agar est un mélange de deux polymères : les polysaccharides agarose et agaropectine. L’agarose, pauvre en acide sulfurique, est responsable de son action gélifiante et hydrophobe. A l’inverse, l’agaropectine, riche en acide sulfurique, est hydrophile. C’est cette double fonctionnalité qui va servir dans le processus de gélification.

Dans notre tout premier article sur les gélifiants, nous avions précisé qu’un gel (ou solution colloïdale) est d’une certaine manière un solide (dont la texture peut aller du mou au cassant) composé principalement de … liquide mais qui ne coule pas. En effet, le liquide est emprisonné par tout un réseau en 3D de longues chaines de molécules. Dans notre cas, on parlera d’ailleurs d’hydrogel car l’agent gonflant est l’eau. Ce réseau peut être constitué de protéines (cas de la gélatine) ou de polysaccharides (cas de l’agar-agar).

Des propriétés intéressantes

L’agar-agar possède plusieurs propriétés intéressantes qu’il est bon de connaître pour pouvoir choisir :

  • C’est une substance incolore et inodore, il peut donc être mélangé à de nombreuses préparations sans surprises. Par contre, il permet une bonne libération des arômes en bouche.

  • L’agar-agar n’entraine pas la précipitations de protéines.

  • Avec les ferments lactiques, il n’y a aucun soucis.

  • C’est un gélifiant naturel très puissant (action perceptible à partir de 0,1 % en masse), l’agar-agar est huit fois plus puissants que la gélatine. A manipuler avec précaution.

  • Le gel obtenu possède une texture très ferme (bien plus que la gélatine), voir cassante/craquante.

  • Il doit être incorporé à froid dans la préparation, puis porté à ébullition pendant 30 secondes minimum et refroidi pour former le gelée.

  • Il se liquéfie vers 80°C et gélifie dès 40°C.

  • La gelée obtenue est thermoréversible.

  • Comme ce n’est pas une protéine, il n’est pas sensible aux enzymes protéolytiques contenus dans l’ananas ou le kiwi comme la gélatine. De ce fait, on peut réaliser des associations impossibles avec la gélatine.

  • Il est sensible aux acides qui affaiblissent son pouvoir gélifiant comme le citron ou le cassis.

  • Les préparations contenant de l’agar-agar (1) doivent être consommées rapidement (sous 24 h), car au-delà, elles risquent de rendre l’eau ; (2) supportent mal la congélation, attention aux entremets nécessitant une prise au congélateur (risque de rendre de l’eau et mauvaise transformation de la texture de la préparation).

Utilisation

1️⃣ Intégrer l’agar-agar à une préparation froide, à raison de :

  • 1g d’agar-agar pour 25cl/250ml de préparation

  • 2g d’agar-agar pour 50cl/500ml de préparation

  • 3g d’agar-agar pour 75cl/750ml de préparation

  • 4g d’agar-agar pour 1l de préparation

Le dosage doit être très précis sous peine d’avoir un résultat sensiblement différent. Le produit s’hydrate mais ne se dissous que lorsque la température atteint les 90°C. De ce fait, il est préférable de mettre l’agar-agar plutôt en fin de préparation.

2️⃣ Faire bouillir pendant au moins 30s et au plus 2min.

3️⃣ Laisser refroidir pour que la gélification s’opère.

On peut préparer l’équivalent de la masse de gélatine avec l’agar-agar en réalisant un concentré (peu visqueux à chaud). Lors de l’incorporation, il faudra veiller à ce que cela ne refroidisse pas trop la préparation sous peine de la figer en bloc.

Est-ce que l’agar-agar remplace la gélatine ?

Oui et non. Tout dépend de ce que vous pouvez et de ce que vous voulez en faire. La texture n’est pas la même, la tenue au froid non plus, la gélatine ne se cuit pas, l’agar-agar oui (obligatoirement), etc. Certes on obtient de gelées dans les deux cas, mais le résultat et son comportement sont foncièrement différents.

Je ne rejoindrais donc pas catégoriquement les sites qui disent qu’il suffit juste de remplacer 8g de gélatines par 1g d’agar-agar. C’est un peu comme si on disait qu’on pouvait mettre de l’essence dans votre voiture diesel à la place du gasoil par ce que dans les deux cas ce sont des carburants 🙂

D’autres substances analogues

Il existe d’autres gélifiants à base d’algues ou de plantes aquatiques.
Citons :

  • La Gellane qui est le produit d’une bactérie poussant naturellement sur la plante aquatique : Elodée. Ce gélifiant permet d’obtenir des gels fermes, transparents et résistants jusqu’à 90°C.

  • La Carraghénane Kappa ou Iota, obtenu aussi à partir d’algues rouges. Ce gélifiant permet d’obtenir des gels élastiques, brillants, transparents, résistants jusqu’à 70°C, thermoréversibles et insensible aux enzymes protéolytiques.

  • L’alginate de sodium, obtenu à partir d’algues brunes. C’est un gélifiant largement utilisé en cuisine moléculaire pour réaliser des sphérifications au contact du calcium.

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Source :

    • Huet J., Le savoir-faire de la Pâtisserie, Best Pratice Inside, 2021