Gélifiants alimentaires

gélatineTrès utilisé en pâtisserie et en confiserie, les gélifiants possèdent pas mal de mystères pour le néophyte. Il s’agit d’une famille de produits, d’origine animale ou végétale, qui s’utilisent de diverses manières, possèdent des pouvoirs gélifiant différents dans des conditions différentes, peuvent générer des gels réversibles ou non, etc. Bref, un produit qui paraît simple mais qui en réalité est d’une formidable complexité. Pour être sûr de bien se comprendre, commençons d’abord par quelques petites définitions pour bien clarifier les choses. 
Un gélifiant est un produit qui va transformer un liquide (qui coule) en un gel (qui ne coule pas) plus ou moins ferme en emprisonnant les molécules d’eau.
Un gel (ou solution colloïdale, pour les intimes, i.e. une solution qui contient en suspension des particules suffisamment petites – entre 2 et 200 nm – pour que le mélange soit homogène) est d’une certaine manière un solide (dont la texture peut aller du mou au cassant) composé principalement de … liquide mais qui ne coule pas. En effet, le liquide est emprisonné par tout un réseau en 3D de longues chaines de molécules. Dans notre cas, on parlera d’ailleurs d’hydrogel car l’agent gonflant est l’eau. On parlera également de gels naturels car on aura des gels de protéines (les gélatines) ou de polysaccharides (l’agar-agar ou la pectine), toutes deux non synthétiques.
Gélification

Pour faire (très) simple, pour avoir un gel il faut d’abord introduite un gélifiant dans une préparation (les chimistes diront un solvant). Ensuite, il va falloir générer un processus de gélification, c’est à dire faire en sorte que les macromolécules composant le gélifiant, et qui se promènent librement dans la solvant, se tiennent tous la main (on parlera de réticulation) pour emprisonner le solvant. C’est grâce à ce phénomène que votre préparation va avoir une nouvelle consistance, plus ou moins ferme, plus ou moins cassante.

Familles de gel

On distingue par ailleurs deux familles de gels :

  • les gels réversibles dont les composants ont la capacité à se lier ou se délier selon leur température (par exemple, les gels obtenus avec de la gélatine) – on dit qu’ils sont thermoréversibles. Parmi ces gels, on a également ceux qui ne résistent pas à une agitation mécanique au moment de la fabrication, mais qui reprennent leur état gélatineux dès l’arrêt du mouvement – on dit qu’ils sont réversibles mécaniquement.
  • les gels irréversibles dont les composants restent liés quelque soit la température (par exemple, les gels obtenus à partir de protéines type protéines du blanc d’œuf) – on dit d’ailleurs qu’ils sont thermo-irréversibles.

Dans ce premier épisode, nous allons commencer par parler de pouvoir gélifiant d’un gélifiant. Si on les utilise, c’est tout de même un peu pour ça !

Que la force soit avec toi, histoire du Bloom

Lorsque l’on veut évoquer la force d’un gélifiant, on utilise une unité : le Bloom. Rien à voir avec le célèbre acteur de cinéma car on doit en réalité cette unité à une autre personne du même nom, l’américain Oscar T. Bloom (1881-1965) [1].

Le 11 avril 1923, notre inventeur (il est en effet à l’origine de plusieurs inventions) dépose un brevet pour une mystérieuse machine : le gélomètre. Oscar Bloom travaillait pour la Swift Meat Company à Chicago. A cette époque, la gélatine animale, dérivée du tissu conjonctif de peaux d’animaux qui étaient transformées notamment en chaussure, était produite massivement par des usines américaines suite à la mise à mal de la filière bovine en Europe lors de la Première Guerre Mondiale. L’objectif de la machine est d’évaluer la “dureté” de la gélatine.

Si on s’en réfère à Wikipédia, cet appareil mesure “la force à appliquer à un cylindre de 12,5 mm de diamètre pour qu’il s’enfonce de 4 mm dans une solution concentrée à 6,67 % dans l’eau pure, et stockée à 10 °C pendant 16 à 18 heures. Si la force à appliquer est de 1 Newton, le degré Bloom est de 1000.” Vous l’aurez compris, cela permet de mesurer une résistance à l’enfoncement.

Le pouvoir gélifiant

Le pouvoir gélifiant (ou force) d’un gélifiant est donc exprimé en Bloom, avec une valeur variant principalement entre 50 à 300 Bloom pour les gélifiants alimentaires. Plus le chiffre est élevé, plus – pour une même masse d’eau – le gel sera ferme. Ainsi, comme il existe plusieurs types de gélifiants, nous pouvons mieux les comparer en fonction de cette valeur. Par exemple, les gélatines utilisées en pâtisserie varient principalement entre 125 et 250 Bloom. Nous utilisons d’ailleurs principalement de la 200 Bloom. Certaines marques vont utiliser des qualités pour représenter ces valeurs : or (200 à 201 Bloom), argent (180) et bronze (150-160).

Facteurs influençant le pouvoir gélifiant

A la base, il suffit d’hydrater notre gélifiant puis de l’incorporer dans une préparation pour en modifier la texture. Cependant, les choses ne sont pas si simple car plusieurs facteurs peuvent jouer sur le résultat final [2].

La concentration en gélifiant

Vous l’aurez deviné facilement, plus on met de gélifiant plus la gélification sera importante (d’où l’intérêt de travailler avec une balance de précision). Ainsi pour la gélatine :

  • A partir de 0,8% (soit 8 g de gélatine par litre), on obtient une première gélification
  • A 1,6% (soit 16 g de gélatine par litre), on obtient une structure tremblotante difficile à démouler.
  • A 2% (soit 20 g de gélatine par litre), on obtient une structure ferme qui peut être démoulée ; c’est la concentration utilisée pour être ajouter à la crème pâtissière ou à la crème fouettée.
  • Entre 3% et 4% (soit entre 30 et 40 g par litre), la structure est suffisamment ferme pour être coupée au couteau.

Le temps

A-t-on besoin de le préciser, une gélification est un processus chimique qui demande du temps. Plus c’est long, plus c’est bon 🙂

La température (le refroidissement) et le temps

Lorsque l’on passe un entremet en cellule, on va assurer un refroidissement rapide. Le gel va se former plus vite. Néanmoins, il sera moins ferme que si nous l’avions laissé refroidir doucement. La solution : un petit tour au froid positif avant de passer au froid négatif. D’où l’intérêt de ne pas s’y prendre au dernier moment pour faire nos préparations.

Le pH

Le pH, c’est-à-dire si une solution est basique ou acide, va influer sur la gélification. Ainsi, pour la gélatine par exemple, plus la solution est acide et plus la texture du gel sera molle.

La nature de la préparation

La gélification de manière générale n’aime pas le sel mais adore le sucre. Plus il y en aura, plus cela favorisera la gélification.  Mais il n’y a pas que le sel et le sucre dans la vie. L’ananas, le kiwi ou encore la figue, contiennent une enzyme (un élément qui accélère certaines réactions chimiques) qui adorent casser les liaisons entre les peptides contenues dans la gélatine (une variété de gélifiant). Du coup, la gélatine devient bien moins efficace. La solution est de faire bouillir la purée de fruits au préalable pour casser cet enzyme, ou utiliser un autre gélifiant (agar-agar par exemple).

L’action mécanique

Là aussi, cela parait évident, mais le gel n’aime pas du tout être perturbé dans son travail de gélification. Tout action mécanique ou cisaillement au fouet auront pour effet de diminuer la force du gel. Moralité : on laisse gélifier tranquille.

Les rôles du gélifiant

Un gélifiant est un formidable agent de diverses natures :

  • Agent gélifiant : Il transforme un liquide en une texture plus solide, comme une gelée.
  • Agent épaississant : Il rend un liquide plus épais sans le faire devenir solide.
  • Agent de texture : Il modifie la sensation et l’apparence d’un aliment pour le rendre plus agréable.
  • Agent stabilisant : Il empêche les ingrédients d’un produit de se séparer.
  • Agent de régulation : Il contrôle et ajuste le pH ou l’acidité d’un produit.
  • Agent foisonnant : Il ajoute de l’air à un produit, le rendant plus léger et aéré.
  • Agent moussant : Il permet la formation de bulles, créant une mousse.
  • Agent de conservation : Il protège les aliments contre la détérioration en empêchant la croissance des bactéries et des moisissures.

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Sources :

  • [1] Belluscio L., “Oscar T. Bloom” in Le Roy Pennysaver & News – January 10, 2016
  • [2] Huet J., Le savoir-faire de la Pâtisserie, Best Pratice Inside, 2021
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Gel_(mat%C3%A9riau) (consulté le 05/01/2022)
  • Bounouira F., Les gels, aspects théoriques et applications, Thèse de doctorat en pharmacie, Université de Rabat (Maroc), 2015